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L’HEREDO.

3° La leçon morale.

Quant au premier point, un pareil don suppose l’identification complète de l’auteur avec ses divers personnages. Shakespeare est Othello lui-même quand, longtemps après l’avertissement d’Iago sur les boucs et les singes, il s’écrie mnémotechniquement : « Boucs et singes ! » Shakespeare est Cléopâtre elle-même quand il pousse le soupir fameux : « Heureux cheval qui va porter le corps d’Antoine ! » Shakespeare est Hamlet, non seulement dans la divulgation successive, perfide et feutrée de son secret à ses confidents, non seulement dans le « mourir, dormir, rêver peut-être », mais encore à tous les moments de ce songe éveillé sur soi-même. Shakespeare est chef et amoureux dans le : « Nous avons dissipé à travers nos baisers — kissed away — des royaumes et des provinces ». Shakespeare est Mercutio dans la fantaisie ailée de la reine Mab, dans l’ironie si âpre du moribond, sous l’épée de Tybalt. Ce n’est plus là de l’inspiration. C’est de la métempsycose. Le poète est habité successivement par ceux qu’il exprime. Or, quels pouvaient être ces habitants, si ce n’est la troupe de ses éléments