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L’HEREDO.

alors que m’apparut d’abord, sous la forme d’une hypothèse commode, la théorie des métamorphoses intérieures, sous l’aiguillon du soi. La pensée souveraine de Shakespeare devint, à mes yeux, l’accumulateur magique d’une multitude d’ascendants, de formes héréditaires, qui reprenaient en lui voix et couleur, et comme l’émanation multiple de son moi. Une fois en possession de cette certitude, dans laquelle me confirmait une analyse attentive et serrée, je vécus pendant quelques semaines dans une sorte de griserie intellectuelle, reconstituant la lignée shakespearienne, d’après Macbeth, Hamlet, Ophélie, Desdémone, Shylock, Richard III, Jules César, Antoine, Cléopâtre, Cymbeline, et tout ce peuple innombrable de figures émouvantes, douloureuses, âpres ou enchanteresses.

Mais seulement une dizaine d’années plus tard, j’arrivai à dénouer l’écheveau embrouillé du moi et du soi et à comprendre le mécanisme de l’élimination des images et des figures ancestrales. Ici encore je me défiai d’une généralisation hâtive et de ces insupportables marottes qui hantent, au tournant de la quarantaine, les écrivains et les philosophes. Je