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L’AMOUR HUMAIN.

mais autrement qu’en leur donnant de l’argent, par exemple en leur procurant du travail. Mon père proposait du travail, quand la chose était possible, mais il commençait par donner, et tout de suite, une somme en argent. « Il faut laisser, — disait-il, — à celui qu’on secourt, la possibilité de choisir sa dépense. » Il ajoutait qu’il est parfois aussi indispensable de se payer une fantaisie que de satisfaire sa faim ou sa soif. Le donateur a trop souvent tendance à imposer à son obligé — ce mot affreux dit tout — un emploi de son argent conforme à ses vues.

Il m’a été donné d’observer un malheureux hérédo, fils d’un manieur d’argent, chez qui la pitié, happée et déformée par d’affreux atavismes, était devenue une véritable propension sadique. Ce garçon s’amusait, par exemple, à faire une pension à un ancien précepteur tombé dans le dénuement, puis à la lui retirer brusquement. Il faisait luire, dans des milieux étriqués et gênés, l’espérance d’un enrichissement subit, quitte à décevoir celle-ci, après plusieurs semaines, par une lettre froidement polie. C’est pour moi un sujet d’étonnement qu’il ait échappé, parmi tant de haines, à