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L’HÉRÉDO.

entre l’acceptation et un entrain persistant à la vie, dont peuvent témoigner tous ses familiers. Cette pitié, dérivation de l’amour, se précipitait, comme l’amour, sur l’objet de son choix et cherchait d’abord à rendre l’espérance, à consoler. Il disait : « Mes souffrances me servent en ceci qu’elles m’épargnent la moitié du chemin, pour aller au cœur des malheureux. Ils n’ont pas à m’envier dans le moment que je les frictionne. Ils ne me soupçonnent pas de compassion voluptueuse. » C’est un fait que la moindre interposition d’hérédisme dans la pitié est perçue aussitôt par l’obligé ou le secouru et devient un motif de haïr son bienfaiteur.

La pitié inactive — où manquent à la fois l’impulsion créatrice, c’est-à-dire l’improvisation et l’ingéniosité, où manque le tonus du vouloir — la pitié uniquement verbale est décevante et odieuse. La dureté lui est préférable. Beaucoup d’êtres, se laissant aller à un attendrissement banal et inefficace devant le malheur ou la détresse d’autrui, s’étonnent de la rancune qu’ils inspirent. Le contraire serait étonnant. Combien de fois n’entend-on pas dire qu’on veut bien secourir les misérables,