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L’AMOUR HUMAIN.

de départ ait lieu naturellement dans le soi. Il n’est pas de sentiment plus altérable, ni plus sujet à corruption. Il n’en est pas de plus respectable, ni de plus beau, quand elle se présente limpide et fraîche, à la sortie de la sagesse blessée, et quand elle se dispense généreusement sur les plaies physiques et morales. Il faut seulement savoir qu’en l’opprimant on la transforme en colère et en révolte, qu’en la déviant on la corrompt jusqu’au pire. L’instinct génésique, s’il se saisit d’elle, la conduit à toutes les perversions. Elle devient alors un piment pour la débauche, un ferment de convulsion sociale. Corruptio optimi pessima. Mais ceux qui nient ses bienfaits, comme Nietzsche, sont, malgré leur science, des ignorants ou des fous.

J’ai eu devant moi, pendant toute ma jeunesse et une partie de mon âge mûr, le spectacle d’une pitié dérivant du soi, infiniment délicate et équilibrée, ne dépassant point la mesure et cependant inépuisable, car elle s’alimentait à une observation clairvoyante ; je parle de celle d’Alphonse Daudet. Quand mon père commença de souffrir, elle prit aussitôt place parmi les apaisements à sa douleur,