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L’HÉRÉDO.

la lutte complexe et redoutable de deux moi également hantés et rivalisant de sournoiserie. Reliés l’un à l’autre par une illusion presque invincible, ces deux infortunés s’entredéchireront jusqu’à la mort. C’est l’histoire contée dans Manon Lescaut, avec un sentiment vrai de la progression dans la misère sensuelle, qui fait du petit livre amer un chef-d’œuvre. Sous la double dégradation du chevalier des Grieux et de Manon court une sorte de lamento de ce qui aurait pu être, si ni l’un ni l’autre n’avaient été ce qu’ils sont. Le passé héréditaire, qui fait la faiblesse du chevalier, s’est jeté sur le passé héréditaire qui fait la déchéance de la fille. Leurs moi s’étreignent jusqu’au désespoir, surveillés par une frange de conscience.

Celui qui, sans être un hérédo caractérisé, n’en est pas moins sous une ou deux influences ancestrales de sens contraire et qui veut faire cesser cette contradiction intérieure, demande à l’amour de le libérer. C’est l’amour des êtres jeunes et purs, de Paul et de Virginie, de Roméo et de Juliette, de tous les gracieux adolescents auxquels l’image visible de leur perfection corporelle semble une garantie de