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DANS LES PROFONDEURS DU SOI.

On a dit que les grands savants et les grands artistes voyaient et jugeaient les choses de la nature comme si elles leur apparaissaient pour la première fois, comme si elles naissaient sous leurs yeux. C’est qu’en effet, le soi, qui meut ces privilégiés, est une puissance permanente et harmonieuse, formée d’une perpétuelle genèse. Je le comparerais au centre d’un système cosmique, où tout est en équilibre et cependant en mouvement, avec cette différence que le système cosmique ne se connaît pas et que le soi peut se connaître, se connaît une fois qu’il a écarté et vaincu le moi, dépouillé jusqu’aux ancêtres sages, jusqu’aux souvenirs et aux présences : c’est la récompense de l’introspection.

Beaucoup d’humains, même rudes et dominateurs, traversent le rayon de l’existence sans connaître d’eux-mêmes autre chose qu’un tourbillon d’hérédismes, en ignorant presque complètement leur soi. Celui-ci ne leur apparaît qu’à l’occasion d’une forte secousse, morale ou physique, d’un choc passionnel, dans l’interstice de deux ou de plusieurs influences congénitales. Cette entrevision suffit cependant pour les troubler, parfois pour les ra-