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L’HÉRÉDO.

parbleu oui, c’est ce qu’il faut faire ! Le risque était fort développé chez Tolstoï. Mais il est arrivé ce malheur que l’apparition dominatrice des hérédismes dangereux a commencé chez lui juste au moment où le risque venait — dans une crise de personnalité qu’il a décrite — de le séparer de ses ancêtres sages. Au lieu de se trouver seul avec sa sagesse, il s’est retrouvé seul avec son erreur et il l’a agie comme il faisait tout, passionnément.

Jules Huret, qui regardait bien les gens, sans d’ailleurs distinguer les ensembles, m’a conté cette anecdote : déjeunant à Iasnaïa Poliana, en même temps qu’un Indien converti au tolstoïsme, il vit avec stupeur cet individu jeter par terre une carafe de vin apportée en l’honneur de l’invité français et que le néophyte jugeait contraire à la doctrine. Pris entre les devoirs de l’hospitalité et son codex, Tolstoï était — disait Huret — « désemparé comme un homme à la croisée d’un chemin ». J’imagine que cette mésaventure dut lui arriver souvent, et pas seulement à table. Son scrupule héréditaire se composait d’une suite de carrefours, où il choisissait régulièrement, et après délibération éloquente, le chemin qui