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DANS LES PROFONDEURS DU SOI.

tion, un moment, que mon père, qui admirait grandement Guerre et Paix, fit en ma compagnie le voyage d’Iasnaïa Poliana et rendît visite au beau vieillard, dont le regard profond avait pris cette expression, si caractéristique, du dormeur éveillé. Je n’ai pas regretté l’évanouissement d’un tel projet. Ce spectacle m’aurait fait trop de peine. Est-il plus grande tristesse ici-bas que celle du génie qui se suicide, du laboureur qui empoisonne son grain.

Ouvrez Guerre et Paix, non plus pour vous enivrer de ce récit à odeur humaine, à goût de sang, mais pour y retrouver Léon Tolstoï. Inquiet déjà et déjà enivré de la montée en lui des hérédismes, il les a fixés dans deux personnage : le prince André et le bon Pierre, le mari de l’impassible Hélène. Ceux-là sont des projections de la personnalité déchirante et déchirée de l’auteur. Il se domine et les domine encore. Plus tard, il obéira à leurs chimères, je veux dire à son personnage intrachimérique, il prendra la suite de leurs nuées, comme dirait le grand Maurras. Il adoptera ces marottes, qu’il essayait sous la forme romanesque, et il voudra les mettre en pratique.

Passer à l’acte, quand on est convaincu, eh !