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L’HÉRÉDO.

comme sur un théâtre, derrière ce pantin désarticulé, une vingtaine d’ancêtres vils et mercantiles, qui le tiraient comme autant de ficelles. Ses paupières, les ailes de son nez, ses joues, étaient parcourues de ces hérédomouvements, que la clinique nerveuse appelle fibrillaires, et qui sont comme autant de sonneries, muettes mais visibles, des fantômes du moi.

Ainsi que sur l’écran du cinéma, défilèrent donc, dans l’espace d’une demi-minute, sur ce faciès dépersonnalisé, une petite troupe de maquilleurs et truqueurs d’Orient, qui rappelait les Mille et Une Nuits. Je songeais : « Comme le monde est étrange ! Voilà un bonhomme habitant Paris, sur les boulevards, au XXe siècle, et qui me donne la comédie d’un tohu-bohu d’ascendants de bazar, dans leurs oripeaux multicolores. » La voix aussi me frappait beaucoup, constituée de trois glapissements, désharmonisés entre l’aigu et le grave, et semblable à une querelle de complices. Mais bientôt Judas se ressaisit, se rassura, s’apaisa, et j’avais devant moi un homme du monde qui saluait perpendiculairement, dans un veston des plus corrects.