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L’HÉRÉDO.

remplacée par le vice correspondant. Au lieu que le risque noble personnalise le héros, le risque ignoble du jeu dépersonnalise le traître davantage, en le dispersant dans son ascendance intérieure. Il joue continuellement le scandale d’être découvert à pile ou face, avec une anxiété mêlée au plaisir, qui est lui-même une caricature de l’euphorie héroïque. Il vit sur le tranchant du couteau. Son affreux secret le travaille et le sculpte, à la façon d’une lésion morbide. Comme il lui est malaisé de s’en délivrer par la confession littéraire ou artistique, il le dépèce — tel un assassin — en un certain nombre de confidences, qu’il fait aux gens les plus indifférents et qui, rejointes, donneraient la clé de sa trahison. Il en résulte un sentiment de honte diffuse, comparable, bien qu’antithétique, au sentiment de gloire qui accompagne le héros. Le traître se confronte sans répit et orgueilleusement. La simplicité, l’humilité lui sont totalement inconnues.

La vie m’a fait rencontrer un de ces damnés — appelons-le Judas — qui a joué, pendant de longues années, un certain rôle dans la société parisienne, en raison même de son