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LE HÉROS ET SON CONTRAIRE.

d’une quarantaine d’années, en paraissant soixante, avec un visage paysan où brillaient des yeux admirables, parce que la pitié y attisait la connaissance. Elle est morte, voici quelques années, de compassion ou de contagion, je pense, car sa miséricorde était infinie. Employée dans une section de cancéreux à l’hôpital, elle les pansait et repansait sans se rebuter, dormant à peine trois heures par nuit et relevant les moribonds et les désespérés, par son humeur égale et souriante. Ensuite elle entra dans un luxueux sanatorium, d’où elle fut renvoyée pour avoir apporté en cachette du bordeaux à un homme riche et accablé, dont elle disait : « Il me fait autant de peine que le plus pauvre, car il n’est pas accoutumé à ce qu’on ne fasse rien pour lui. » Cet homme riche et généreux, afin de compenser une mesure de rigueur dont il était la cause, lui donna cinq mille francs, somme énorme pour une infirmière. Savez-vous ce que fit Marie. — Elle s’appelait Marie. — Elle distribua instantanément les cinq mille francs à cinq familles chargées d’enfants, qui habitaient la maison faubourienne où elle avait sa mansarde. Comme je la grondais doucement pour cette