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LE MODELAGE DES ELEMENTS DU MOI.

la photographie instantanée. Souvent l’angoisse de son dessin lui arrache en légende un cri de douleur. Il s’étonne, s’irrite et s’afflige du trait qu’il vient d’imaginer.

La frénésie est intermittente. Autrement elle tuerait son homme. Les apaisements périodiques de Goya se traduisent dans des compositions joyeuses ou suaves, telles que celles des cartons de tapisserie, derrière lesquelles — comme dans le Pantin — passe le souvenir du mauvais rêve. Le besoin de se délivrer des fantômes intérieurs est aussi manifeste chez lui que chez Balzac ou Shakespeare. Sa typification est guettée par un soi, distant et hautain, qui traverse, souverain indifférent, les charniers et champs de supplices ; chez peu d’artistes l’hérédo se confesse comme chez celui-là. Aussi exerce-t-il une véritable fascination sur ses admirateurs, gens évidemment de sa famille. Il détient leur secret comme le sien. Il leur montre le monde qu’ils portent en eux.

Ce que j’ai appris de la biographie de Manet, influencé nettement par Goya, me révèle en lui un hérédo frénétique de la lignée de Goya. Son risque compensateur consistait à