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SHAKESPEARE ET BALZAC.

presque la même chose — qui, en proie à une foule intérieure, à vingt reviviscences, au mystère continuel de l’autofécondation, se délivrent de leurs hérédismes par la création littéraire. L’analogie ici est frappante et peut être poursuivie très loin.

Quiconque désire s’en convaincre n’a qu’à lire en même temps le père Goriot et le Roi Lear, les Chouans et Roméo et Juliette, Shylock et Eugénie Grandet, Le Lys dans la Vallée et Comme il vous plaira. Dans ces conceptions si voisines, les mêmes empreintes ont éveillé les mêmes images, la même atmosphère, presque les mêmes propos. La nuit d’amour des amants de Venise est exactement superposable à la nuit d’amour des amants de Fougères. Bien sot celui qui verrait ici la moindre imitation. Les mêmes circonstances sont nées du même sujet, né lui-même des mêmes réveils au sein du moi. S’ils avaient vécu depuis leur naissance, avec du papier, des plumes et de l’encre, chacun dans une île déserte, Shakespeare et Balzac auraient sans doute écrit la même œuvre, le premier sous forme de drames, le second sous forme de romans. Leurs différences ne tiennent