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LES ROMANS ANTI-CLÉRICAUX.

frent, je voudrais que mon œuvre fût constamment d’une gaieté folle et tellement édifiante, qu’auprès d’elle la Morale en action semblerait écrite avec du piment broyé. On y verrait, des plaies sociales plus jolies et plus souriantes que les lèvres entr’ouvertes des roses. Des martyrs en habit noir polkeraient décemment dans des salons bourgeois. Les forçats seraient doux, sympathiques et folâtres’. Les lions seraient des chiens de manchon, et les tigres seraient de jolis petits chats bien peignés.

— Vous plaisantez, dit Jeanseul. Si jamais je décris ce que j’ai vu, je compte bien le décrire tel quel.

— Erreur ! dit Arthur, qui semblait prendre à tâche, comme on dit vulgairement, d’amuser le tapis, tandis que le seigneur Hercule, Véry et Bouffetout discutaient à voix basse, debout, près du comptoir. Il faut s’habituer à considérer les misères de ce monde avec une aimable philosophie. Dans l’œuvre que je rêve, les amputés jongleraient avec leurs jambes ou leurs bras coupés deux secondes après l’opération. Les épileptiques seraient joyeux compté des personnages de Paul de Kock et se tordraient de rire, au point de pouvoir servir de tire-bouchons dans les familles paisibles. L’hôpital serait une maison de plaisance où l’on jouerait au loto, et où chacun à son tour pourrait crier : Quine ! Les grabats chanteraient la faridondaine. Les assassins seraient des anges, et l’Académie se réunirait en séance solennelle pour leur décerner des prix de vertu. J’épargnerais si soigneusement les nerfs des personnes sensibles, je prodiguerais tellement les couleurs tendres et les teintes crémeuses pour décrire un cabaret comme le Vin bourru, que la mère n’aurait plus qu’une idée ; celle d’y conduire sa fille en première communiante. Au lieu de sang, il ne coulerait dans mon œuvre que du lait de poule et de la panade. Un chien enragé serait enrubané par moi comme un agneau à qui l’on dit d’une voix de tête : « Oh ! le beau petit ! » et les très vieilles demoiselles couronneraient un jour mon buste en même, temps que celui de Berquin.

Jeanseul regardait Arthur avec stupéfaction.

— Vous voulez rire, dit-il. Quant à moi, je trouve que le sujet dont nous parlons ne prête guère à plaisanter, et que c’est surtout en pareille matière que l’on peut répéter cet axiome du peuple : Diseur de bons mots, mauvais cœur.

— Je riais, en effet, répliqua le bel Arthur, qui vit tout ce que ses railleries avaient de déplacé pour un esprit sérieux comme Jeanseul. Mais que voulez-vous ? ajoutait-il, il faut bien rire un peu.