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LES ROMANS ANTI-CLÉRICAUX.

Le cabaretier, appelant Lanturlu, lui donna les rogatons nécessaires pour fabriquer une pâtée.

Pendant cette fabrication, Angedemer, indifférent en apparence, jouait avec le chien auquel il faisait mordiller le bout de sa badine. Véry, qui était retourné à ses paperasses, causait avec Hercule, sans cesser d’observer du coin de ses gros yeux de faïence le manège d’Arthur.

Sirène, que le seigneur Hercule avait assise sur un tonneau, assez loin de la table où Véry paperassait et guettait, de telle sorte qu’elle ne pût entendre les paroles échangées entre le Hanneton barbouilleur et lui, promenait tour à tour ses regards sur Lanturlu, son petit frère en souffrance, et sur Jeanseul le libérateur :

— C’est une question obscure et bien complexe que cette question de la misère humaine, disait Jeanseul au bel Arthur. Pourquoi les uns trouvent-ils dans leur berceau l’honneur, la joie, la vie en rose, tandis que les autres naissent pour agoniser lentement dans la douleur et parfois dans l’opprobre ? Quel crime a commis ce malheureux enfant pour vivre ainsi, doux parmi les féroces, innocent dans cet infâme cabaret, victime parmi des bourreaux ? Ces questions donnent le vertige. Ah ! l’on douterait de Dieu. Et ce pauvre monstre, cet épileptique ! Je n’y puis songer sans me sentir ému. Que peut-il faire ici-bas, sinon faire horreur ?

— Tout cela est lugubre, dit hypocritement Arthur. Moi aussi, je vous l’ai raconté, je m’occupe de ceux qui souffrent, et mon cœur saigne en pensant aux misères sans nombre que je ne puis soulager.

En ce moment, Lanturlu apporta la pâtée du chien.

Angedemer prit le plat des mains de l’enfant, tour à tour présentant au chien l’assiette ou lui enfonçant dans la gueule le bout de sa badine comme pour lui faire une farce.

Puis il posa l’assiette à terre après avoir, sans qu’il y parût, introduit au milieu de la pâtée un petit objet qu’il tenait entre le pouce et l’index de la main gauche.

Cet objet était une longue épingle recourbée en forme d’hameçon.

Jeanseul restait rêveur. Il sentait qu’il était dans un milieu tragique.

— À quoi pensez-vous, poète que vous êtes ? dit Angedemer en se redressant.

— Je pense, répondit Jeanseul, qu’il faut une grande force de vo-