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LA RELIGION DU CRIME.

— J’aime mieux cela, répliqua Jacques.

— Et bien ! il y a que vous n’y voyez plus clair.

— J’y vois, monsieur, je vous assure, répondit Jacques.

— Alors, vous n’êtes plus bon à rien. Vous m’avez gâté une chaîne hier. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Mon atelier n’est pas un bureau de bienfaisance. On vous réglera votre compte ce soir. Tâchez de trouver un autre métier. Faites-vous inscrire à la Ville, pour casser la glace ou pour enlever les neiges. Moi, je ne peux pas vous employer maintenant. Si, d’ailleurs, vous aviez besoin, une ou deux fois, plus tard, d’une pièce de quarante sous, ne vous gênez pas… Venez me la demander. Je vous la donnerai… Je ne suis pas un bourreau.

De grosses larmes d’humiliation roulèrent dans les yeux de Jacques.

— Merci, monsieur Bec, dit-il… je ne demande pas l’aumône… Je travaillerai…

— Sans doute… sans doute… Mais on peut avoir besoin, n’est-ce pas ? Cet hiver de 1860 est dur… Vous êtes libre de passer tout de suite au magasin… On vous paiera… C’est entendu avec le caissier…

Jacques rentra, traversa l’atelier des polisseuses et revint occuper sa place dans l’atelier des chaînistes.

Il était livide et chancelait comme un homme ivre.

C’était vrai. Il n’était bon à rien maintenant. Il lui fallait renoncer à son métier.

Depuis quelque temps déjà ses yeux ne le servaient plus. Quand il travaillait aux mailles, il était pris d’éblouissements, comme s’il avait longtemps regardé une lumière éclatante.

Le reflet de l’or s’irradiait. L’objet devenait vague et flottant. La chaîne avait l’air d’un serpent de feu.

Alors il passait la main sur ses yeux, et il disait tout bas :

— Est-ce que je vais devenir aveugle ?

Mais il ne confiait sa crainte à personne. Il avait si peur de la misère ! Il avait si peur d’être sans travail, non pas tant pour lui que pour son enfant, le petit Pierre, un apprenti, et surtout pour sa mère, une pauvre vieille de soixante-quinze ans, presque paralytique, son culte, son amour !

Tous les jours précédents, en allant à l’atelier, et le soir, il regardait les mendiants des rues, et quand il voyait une vieille femme tendre la main, ses yeux se remplissaient de larmes.