était pas venu à la capitale. Nicodème n’était au courant de rien du tout ; mais, pour se mettre du premier coup dans les bonnes grâces de l’Oint, il jugeait bon de débuter par une flatterie qu’il croyait adroite.
Mais il avait affaire à forte partie. Celui qui avait coupé au Verbe le filet n’avait pas volé son argent.
Jésus mit son poing sur la hanche et répondit à Nicodème :
— Vous êtes bien bon. Je vois pourquoi vous venez ici. Vous voudriez avoir des renseignements exacts sur ma mission ; mais mon bon ami, pour voir le royaume de Dieu, il faut d’abord vous donner la peine de naître de nouveau.
La réponse était obscure, Nicodème se sentit démonté.
— Faites excuse, répliqua-t-il. Je ne saisis pas bien. Comment peut naître un homme qui est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère pour naître une seconde fois ?
Jésus riait en lui-même.
— Ce nigaud-là, pensait-il, ne comprend pas mon apologue : soyons bon garçon, et mettons-le sur la voie.
Et il riposta :
— En vérité, en vérité, je vous le dis, excellent Nicodème, si un homme ne renaît de l’eau et du souffle, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.
— De l’eau ?
— Oui, de l’eau et du souffle.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Ah ! ah ! c’est ici que je vous pince. Vous ne vous êtes pas fait saucer dans l’eau jusqu’au nombril par mon cousin Jean ; vous n’avez pas reçu sur votre crâne chauve le souffle du pigeon. Voilà pourquoi vous ne comprenez goutte au sens de mes phrases. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit.
Nicodème ouvrait des yeux, grands comme des portes cochères.
Jésus continua :
— Ne vous étonnez pas de ce que je vous raconte, c’est très sérieux. Je vous dis et vous répète qu’il faut que vous naissiez de nouveau. Le pigeon souffle où il veut, et vous entendez sa voix ; mais vous ne savez ni d’où il vient ni où il va. Il est de même de tout homme qui est né du pigeon.
— Fichtre ! s’écria Nicodème, vous me dites des choses étonnantes ; le malheur est qu’elles dépassent mon intelligence. Ce pigeon qui souffle et de qui des hommes sont nés, cette nécessité de naître une seconde fois en se trempant dans l’eau de votre cousin Jean, comment tout cela peut-il se faire ?
Jésus, à son tour, prit un air étonné.
— Quoi ! répliqua-t-il, vous êtes passé maître dans la science théologique, vous appartenez au Sanhédrin, et vous ignorez ce à quoi je fais allusion ?… Cela est bien étrange.