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LA VIE DE JÉSUS

C’était un bazar universel, auquel ne manquaient même pas les changeurs. D’après la Bible (Exode, chap. XXX, versets 11-16), chacun devait aux prêtres un demi-shekel d’argent « pour le rachat de son âme ». Or, depuis la conquête romaine, la monnaie juive était rare ; la plupart des pèlerins n’apportaient avec eux que des monnaies à l’effigie de César, et l’on pense bien que cet argent était indigne d’être offert au Seigneur. Aussi, les curés juifs avaient-ils installé à la porte du Temple des comptoirs de changeurs. Pas bêtes, les prêtres du temps ! ils faisaient payer un droit de change sur une pièce d’argent qu’ils encaissaient sans délivrer la moindre marchandise. Vous me donnez cinq francs, je les prends, et je vous fais encore verser quinze centimes sous prétexte que j’ai eu la peine de mettre vos cinq francs dans mon gousset.

Jésus était là, avec ses cinq compagnons.

— Saperlipopette ! murmurait Simon-Caillou en écarquillant les yeux, y en a-t-il de l’argent sur toutes ces tables ! Et dire que nous n’avons pas le sou !

— Et des bœufs, y en a-t-il ! et des moutons ! ajoutait André.

— Comme un de ces agneaux irait bien à notre broche ! repartait Barthélemy.

— Je me chargerais bien d’une paire de pigeons, roucoulait le petit Jean.

Les six malandrins se consultèrent du regard.

— Attention ! fit le chef de la bande, et gare à la bousculade !

Sur ce, saisissant une poignée de cordes, il se précipita comme un fou furieux au milieu des marchands du Temple : à grands coups de pied, il renversa les comptoirs des changeurs, jetant par terre les piles de monnaie ; en même temps, il tapait dur et ferme sur les bœufs, les moutons, les brebis et les agneaux, qui, beuglant et bêlant, se sauvèrent sous le fouet de Jésus ; quant aux pigeons, race qui avait pourtant produit son père le Saint-Esprit, il défonça du poing leurs cages en hurlant à tue-tête à leurs propriétaires :

— Hors d’ici, marchands éhontés ! Vous souillez cette maison de prières ! vous en faites une caverne de voleurs !

On voit d’ici la bagarre. Si Jésus avait été seul à cogner, bien certainement il ne s’en serait pas tiré à bon compte, et les marchands lui auraient fait à coup sûr un mauvais parti. Un individu, si fort qu’il soit, ne bouscule pas sans aucun aide des centaines de marchands entourés d’une foule sympathique. Au contraire, une bande de chenapans, se ruant dans une multitude en désarroi et faisant l’esclandre décrit par l’Évangile, réussit facilement à augmenter le désordre sans courir de trop grands risques. C’est ainsi que l’événement a, sans aucun doute, eu lieu.

Jésus a pris pour lui la plus forte part de cette belle besogne ; mais il a été secondé par les cinq camarades, renforcés d’autres