Page:Léo Taxil - La Vie de Jésus.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LA VIE DE JÉSUS

cinq gueusards qu’il a connus on ne sait où et qu’il intitule ses disciples…

— Et alors ?

— Ils ont bu comme des éponges, et, quand il n’y a plus eu de vin, le charpentier en a fabriqué…

— Il a fabriqué du vin ! et avec quoi ?

— Avec de l’eau.

— Oui, avec de l’eau et du campêche, ou tout autre bois de teinture. On la connaît, tous les débitants fabriquent du vin comme cela.

— Mais non ! il paraît qu’il ne s’est servi que d’eau pure.

— Qu’en savez-vous ? Y étiez-vous, à la noce ?

— Moi, pas ; mais Nabé l’affirme, et Nabé le tient de Mathuzael, qui le tient de Josias, qui le tient de Gédéon, dont le cousin Hircan lui en a fait le récit.

— Eh ! ce cousin Hircan est bien l’oncle de la fiancée Noémi, n’est-ce pas ?

— Précisément.

— Dame, je ne vois pas alors quelle foi on peut ajouter à ses paroles : c’est un ivrogne de la pire espèce, il se sera saoûlé selon sa sainte habitude, et le charpentier lui aura fait voir tout ce qu’il aura voulu.

— C’est, ma foi, bien possible ; du reste, tous les gens de la noce étaient pleins comme des huîtres.

— Parbleu ! ce Jésus est un rusé compère, il s’est moqué d’eux tous ; son prodige est une supercherie de sa façon. En voilà un que la délicatesse ne gêne pas !…

En effet, si le miracle de Cana mettait en mouvement toutes les langues nazaréennes, du moins il produisait d’innombrables haussements d’épaules.

C’est ce qui ressort de l’Évangile.

Le petit Jean, un des disciples présents à la noce, ne se prive pas de montrer son dépit chaque fois que, dans son livre, il a occasion de parler des gens de Nazareth. « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » (Jean, chap. I, vers. 46.) Cette opinion était aussi celle de Barthélemy.

« La rudesse des Nazaréens était proverbiale, dit un pieux commentateur ; peut-être ne virent-ils qu’imposture dans le miracle de Cana, et forcèrent-ils le fils de Joseph, comme ils l’appelaient, à s’éloigner de leur pays. »

Résultat : — À part les convives de la noce qui, pour comble de malheur, ont négligé de transmettre leur impression à la postérité, à part eux et le petit Jean, le fameux tour de l’eau changée en vin ne rencontra que des incrédules.

Jésus eut vite compris qu’à Nazareth il n’aurait aucun succès s’il voulait tenter un déballage de miracles, et il s’empressa de fuir cette ville où il se considérait comme beaucoup trop connu.

Il se rendit sur les bords du lac de Génésareth. Là, le pays était plus splendide et les gens plus simples d’esprit. En outre,