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LA VIE DE JÉSUS

chercher le petit Jésus pour lui faire passer le goût du biberon.

Joseph ne se le fit pas dire deux fois. Il n’attendit pas le lever de l’aurore.

Il secoua sa femme qui, sur la paille de l’étable, était en train de rêver du Saint-Esprit, et lui cria :

— Hoh ! hop ! ma femme, debout !

— Quoi ? qu’y a-t-il ? demanda Marie en se frottant les yeux.

— Debout ! debout ! répétait l’autre.

— Oh ! Joseph, que vous êtes ennuyeux ! Ne pourriez-vous pas me laisser dormir en paix ?

— Il ne s’agit pas de taper de l’œil, ma femme. Il y a que le roi Hérode veut tuer Jésus. Voulez-vous lutter contre ce puissant monarque ? Je sais bien que votre fils, qui est un dieu, ne se laisserait pas égorger ; mais mon avis est qu’il ne faut pas compter encore sur le pouvoir souverain du moutard. Donc, il est plus sage de ne pas risquer notre peau dans l’égorgement qui se prépare. Attrapez votre nourrisson, madame, et prenons illico de la poudre d’escampette !

À cette exhortation, qui ne souffrait pas de réplique, Mme Joseph se leva.

— Soit ! dit-elle, j’adhère à votre projet de départ ; mais qui portera tous mes ustensiles ? Vous pensez bien que je ne vais pas me charger d’un autre colis que du poupon.

— Qu’à cela ne tienne, madame ; nous emmènerons avec nous cet âne.

— Mais il n’est pas à nous. On l’a placé dans cette écurie pour l’y abriter. En vertu de la plus vulgaire probité, nous ne pouvons nous en emparer.

— Pardon, ce n’est pas pour nous que nous allons agir ; c’est pour le compte et le salut de votre fils. Or, Jésus n’est-il pas le maître du monde ?

Il n’y avait plus d’objection à faire. On s’empara de l’âne. Marie se plaça dessus, prit le gosse dans ses bras, et l’on partit[1].

  1. D’après l’Évangile lui-même, Joseph et Marie étaient de vulgaires filous, dignes de la police correctionnelle. En effet l’Évangile nous représente d’abord le charpentier et sa femme se rendant à pied, le plus pauvrement du monde, à Bethléem pour le recensement. Ils sont refusés par les hôtelleries de l’endroit, et, comme Marie est prise des douleurs de l’enfantement, ils se réfugient dans une écurie, où se trouvent deux animaux, un bœuf et un âne, attachés au râtelier. C’est sur la litière même de ces bêtes que Jésus vient au monde, la maman lui arrange un berceau dans la paille de la crèche. Or, ce bœuf et cet âne avaient évidemment des propriétaires. C’est dans l’étable que la sainte famille reçut premièrement la visite des bergers, et, après, la visite des mages. La nuit même qui suit i’adoration des mages, l’ange apparaît à Joseph et lui ordonne de déguerpir avec la mère et l’enfant, sans attendre seulement le lever de l’aurore. Joseph et Marie partent ; toutes les légendes catholiques nous les représentent emmenant un âne dans leur fuite en Égypte. Cet âne est, à n’en pas douter, celui de l’étable, car ce n’est pas au milieu de la nuit qu’ils seraient allés en acheter un chez les marchands de bestiaux de la localité. D’ailleurs, cette fuite s’accomplit à la hâte et avec la discrétion que commandaient les circonstances périlleuses où se trouvait le poupon. Si, du reste, Joseph et Marie avaient acheté à quelqu’un l’âne qui servit à leur fuite, l’Évangile, qui donne des détails bien plus insignifiants, le dirait. En conséquence, cela est certain, la mère de Jésus et son mari ont volé l’âne, impossible de le nier.

    Je sais bien ce que me répondront les catholiques : « Tout dans l’univers appartient à Dieu, et, par suite, au Christ qui est une des trois personnes de la Trinité, donc, en prenant l’âne pour l’usage du petit Jésus, Marie et Joseph n’ont commis aucun vol. » — Je n’insiste pas ; ceci est affaire d’appréciation.