Page:Léo Taxil - La Vie de Jésus.djvu/320

Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
LA VIE DE JÉSUS

Quant aux militaires, ils étaient plutôt disposés à rire ; on sait que le pioupiou a toujours été d’un naturel très gai, aussi bien autrefois qu’aujourd’hui.

Ils firent asseoir Jésus sur un banc et organisèrent un jeu qui ne se peut guère comparer qu’à une brutale partie de main-chaude. On banda les yeux au fils du pigeon ; ce fut le signal d’une longue série de niches, dignes d’une bande de locataires expulsés qui auraient tenu leur concierge.

Un soldat tirait une forte pince dans le gras du bas-rein du patient, et les autres disaient :

— Eh ! toi qui es malin comme un prophète, nomme un peu le camarade qui t’a pincé !

Et c’étaient aussi des chiquenaudes formidables, des torgnoles retentissantes, des châtaignes solidement appliquées, sans compter quelques giffles par-ci par-là. Les plus grossiers lui crachèrent au visage.

Jésus aurait bien pu arrêter cette avalanche dès la première pince. Pour cela, il n’aurait eu qu’à répondre, ainsi qu’il le pouvait :

— Celui qui m’a pincé, c’est Jacob Truchelubabel, caporal aux gardes, né à Sichem le troisième jour des calendes de sextile, il y a de ça quarante-et-un ans.

Il est évident que, s’il avait répondu ainsi, les soldats non seulement l’auraient laissé tranquille, mais encore auraient immédiatement reconnu et proclamé sa divinité. D’accusé, il serait passé triomphateur, séance tenante.

Donc, il ne le voulut pas.

Au contraire, Jésus dut éprouver une véritable jouissance à recevoir les torgnoles.

En lui-même, bien certainement, il se disait :

— J’ai tous les bonheurs ! Pinces, châtaignes, pichenettes, rien ne me manque… Adam et Ève doivent enfin commencer à digérer cette pomme qui leur était restée sur l’estomac. Si je nommais par leurs noms ces militaires frappeurs, ils cesseraient brusquement leurs brutales plaisanteries, et le péché originel ne serait pas effacé.

Et, en se portant par la pensée aux siècles futurs, il dût, pour peu qu’il songeât aux atroces fumisteries des casernes du dix-neuvième siècle, regretter de ne pas avoir différé la rédemption jusqu’à notre époque. En effet, les pioupious contemporains de ce livre sont autrement cruels que ceux de l’Évangile. Si Caïphe avait eu pour gardes les vieux brisquards qui font la joie de nos bobonnes, Jésus aurait passé un bien plus vilain quart d’heure.

C’est pour le coup qu’on l’aurait fait sauter à la couverte, comme il arrive aux jeunes conscrits qui ne sont coupables d’aucune tentative séditieuse ! C’est pour le coup qu’on lui aurait infligé l’opération désagréable, appelée dans les régiments « l’épreuve de la patience », opération dont les instruments sont