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LA VIE DE JÉSUS

— Puisque tu es dans ses petits papiers, demande-lui donc quel est celui d’entre nous qui le trahira.

Jean se pencha alors vers Jésus et l’interrogea tout bas.

Messire Christ répondit, sans que personne autre que Jean put l’entendre :

— Le traître est celui à qui je présenterai un morceau de pain trempé dans le plat.

Judas ne se doutait pas que le patron allait cette fois le désigner catégoriquement à l’un des apôtres. Jésus lui offrit le morceau de pain trempé, et il le prit.

— Oh ! la canaille ! dut penser Jean.

Mais le disciple bien-aimé garda son indignation pour lui ; car il n’est dit nulle part qu’il dénonça le faux-frère.

Cependant, le temps s’écoulait, la nuit épaississait ses voiles. Jésus avait hâte d’en finir.

Il dit à Judas :

— Tu sais, puisque tu as affaire au dehors, mieux vaut ne pas lambiner.

— Quoi ! Seigneur, c’est vous qui me dites… ?

— Parfaitement. Allons, va où tu as à aller, et du leste !

Les disciples entendirent ces derniers mots ; mais, comme Judas était chargé de la bourse de la communauté, ils pensèrent que Jésus lui donnait une commission relative à quelque achat en vue de la fête.

Jean, seul, put comprendre ce qui se passait. Il vit, aussitôt le pain reçu, le traître se lever de table et disparaître. Judas, n’ayant plus aucun scrupule, fila prestement en fredonnant entre ses dents :

 

Marie, trempe ton pain,
Marie, trempe ton pain dans la sauce !
Marie, trempe ton pain,
Marie, trempe ton pain dans le vin !

 

Je ne garantis pas l’exactitude absolue de la chanson ; mais tout porte à croire que l’Iscariote, voyant que Jésus le prenait du bon côté, n’effectua point une sortie lugubre.

Après son départ, on causa encore quelque peu.

Jésus adressa aux apôtres ses dernières recommandations ; il les appela « ses petits enfants » et leur parla « d’un endroit où il avait à aller et où personne ne pourrait le suivre. »

Pierre, qui avait convenablement levé le coude tout le temps du repas, était assez échauffé.

— Un endroit où nous ne pourrons pas vous suivre ? s’écria-t-il… Il n’en existe pas sur terre… Quant à moi, je jure bien de ne point vous abandonner… Partout où vous irez, j’irai. Partout où vous serez, Pierre sera… C’est à la vie et à la mort… Mille tonnerres ! dites un mot, et je me fais tuer pour vous !

Le fils du pigeon haussa leurs épaules :

— Tudieu ! répliqua-t-il, quel enthousiasme !… Heureusement,