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LA VIE DE JÉSUS

tir de là. Seulement, malheur à celui par qui je serai livré ! Il vaudrait mieux pour cet homme qu’il ne fût jamais né.

Judas, comme on pense, n’était pas à son aise.

— Sapristi ! se disait-il, est-ce qu’il aurait eu vent de quelque chose ?

Et, pour savoir à quoi s’en tenir au juste, il se pencha à l’oreille de Jésus et lui dit à voix basse :

— Celui qui vous trahira, patron, est-ce moi ?

Jésus lui répondit de même :

— Tu l’as dit, Judas, c’est toi.

Le nez du traître s’allongea. Il dut compter évidemment sur une divulgation plus complète et se faire un mauvais sang de tous les diables. Cependant, quand il vit que le patron gardait le silence et s’abstenait de le dénoncer à l’indignation des camarades, il reprit son aplomb ordinaire et se tint sans doute le raisonnement suivant :

— Au fait, puisqu’il a décidé lui-même que je le ferai pincer par les gardes du Temple, c’est qu’il a ses raisons pour ça, et je serais bien bon de me gêner. Il n’a pas l’air, le moins du monde, de m’en vouloir. Qui sait même s’il n’en est pas très aise au fond ? Les desseins de Dieu sont impénétrables. Je suis en ce moment l’instrument de Dieu. En attendant de remplir mon rôle conformément au plan qui a été arrêté là-haut, mangeons bien et buvons frais.

Là-dessus, il se versa une bonne rasade. Du reste, il ne se contenta pas de boire, il mangea aussi copieusement et d’un cœur léger ; bref, il fut de tous les apôtres celui qui fit le plus honneur au festin.

Comme le repas touchait à sa fin, Jésus empoigna un des pains longs qui se trouvaient sur la table, et il en cassa un morceau.

— Ah ça ! pensaient les apôtres en le regardant faire, est-ce qu’il aurait encore appétit ?… Quelle fourchette !…

Tous avaient les yeux fixés sur lui.

Il prit le morceau de pain qu’il avait cassé et dit :

— Il y a assez longtemps de cela, je vous ai déclaré que mon sang était vraiment breuvage et que ma chair était vraiment viande ; je vous annonçai qu’un jour vous boiriez mon sang et mangeriez ma chair. Ce jour est venu.

— Ah bah ! exclamèrent en chœur les apôtres, qui avaient toujours cru à une facétie du patron.

— C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire.

Les apôtres étaient stupéfaits.

— Toutefois, continua le Christ, rassurez-vous. Je ne vais pas vous inviter à boire à mes veines ni à mordre dans mes biftecks… Vous voyez ce morceau de pain ?

— Oui.

— Eh bien, c’est ce pain qui est mon corps. Il ne le paraît pas, sans doute ; mais ne vous fiez point aux apparences.