CHAPITRE LVII
VIANDE ET SANG QUI N’EN ONT PAS L’AIR
Entre deux bouchées de pain (sans levain), messire Jésus se prit à penser que son voisin de gauche, Judas, se disposait à lui jouer un vilain tour. Il tint à lui faire comprendre qu’il n’était pas sa dupe, et que ce serait bien volontairement qu’il se laisserait pincer.
On causait de la pluie et du beau temps.
Jésus rappela à ses apôtres que de grands événements se préparaient.
— Nous dînons bien tranquillement, n’est-ce pas ? dit-il… Eh bien, avant peu, vous en verrez de grises, et moi, le beau premier, j’en verrai de toutes les couleurs. Il y a, dans ces vieux bouquins de livres sacrés, des prophéties qui doivent s’accomplir. Or çà, apprenez que ça ne traînera pas longtemps. « Celui qui mange à ma table lèvera le pied contre moi. » Dès maintenant, je vous l’annonce, afin que, lorsque la chose arrivera, vous vous disiez : « Tiens ! il ne s’était pas mis le doigt dans l’œil, notre Jésus ! »
En disant cela, il envoya un regard de travers à Judas ; mais celui-ci fit semblant de ne pas saisir l’allusion.
— En vérité, en vérité, je vous le dis, reprit Jésus, un de vous me trahira, et il mange avec moi.
Les apôtres se regardèrent, les uns les autres, avec un étonnement profond.
— Vous voulez rire, Seigneur, dirent-ils ; nul d’entre nous ne vous trahira jamais.
— Pardon, je n’ai pas la berlue, riposta l’Oint.
— Sera-ce moi, alors ? fit chacun.
Jésus répondit :
— C’est l’un des douze. Il met la main au plat en même temps que moi. Celui-là me livrera à mes ennemis.
Il faut croire que Judas, à ce moment, ne devait pas être seul à mettre la main au plat ; car, dans ce cas, il aurait été trop clairement désigné, et les autres lui auraient fait un mauvais parti, à coup sûr.
Jésus continua ses révélations :
— Que voulez-vous ? C’est écrit là-haut. Le plan a été arrêté entre mon père et moi. Il faut que je sois sacrifié, et dans ce sacrifice, je dois être victime d’une trahison ! Pas moyen de sor-