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LA VIE DE JÉSUS

des changeurs encombraient les parvis, s’étalant sous les portiques et même jusqu’aux abords du sanctuaire. À ce moment, surtout, le marché paraissait plus tumultueux que jamais ; car c’était vers le dixième jour que l’agneau devait être choisi, et tous se pressaient pour acheter la victime de la Pâque. »

Selon l’évangéliste Marc, le fils du pigeon se contenta de regarder les étalages ; mais il ne fit rien de plus ce jour-là. La nuit commençait à tomber ; il ne voyait autour de lui personne prêt à lui prêter main-forte, il avait hâte de se mettre en lieu sûr, c’est-à-dire de quitter la cité où il venait à peine de pénétrer. Où alla-t-il ? Le livre saint ne le dit pas, mais donne à entendre qu’il finit par rejoindre quelques-uns de ses disciples et qu’il passa la nuit à la belle étoile en leur compagnie.

Quant à l’âne, il n’en est plus question dans le Nouveau-Testament ; mais les autres légendes nous apprennent ce qu’il devint. Misson, dans son Voyage d’Italie (tome 1), nous apprend l’épopée de ce quadrupède glorieux.

Lorsque Jésus se vit seul, il mit pied à terre et ne s’inquiéta pas le moins du monde de rendre l’animal à son propriétaire.

Notre âne, donc, erra par la ville, et, comme il avait parfaitement conscience de ce qui s’était passé, il résolut d’entreprendre un petit voyage d’agrément. Après avoir porté le seigneur Dieu, cela valait bien une mise en liberté.

Il prit la clef des champs et se ballada en Judée, broutant des chardons par-ci, envoyant de saintes ruades par-là. Après avoir visité en détail le pays qui l’avait vu naître, il s’avisa de voyager à l’étranger, comme tout bon rentier qu’il était.

Il eut l’idée d’aller faire un tour en Italie. Pour se rendre dans cette contrée, il lui fallait perdre un temps infini à tourner la mer Noire ou bien prendre une place à bord d’un paquebot traversant la Méditerranée. D’autre part, notre âne tenait à son indépendance ; il pensa, avec juste raison, qu’une fois sur un bateau, il pourrait très bien être gardé et même transformé en saucissons par le maître-coq pour l’alimentation des passagers.

La situation était délicate.

Saint Aliboron se souvint alors très à propos que le Christ avait marché sur les eaux, il se dit :

— Pourquoi n’en ferais-je pas autant ?

Bravement, il se rendit au bord de la plage et posa le sabot sur la première vague qui se présenta.

Ô merveille ! la vague devint aussitôt dure comme une corne de saint Joseph. Il risqua un second sabot sur une seconde vague, qui s’empressa de durcir comme la première, et, ma foi, voilà notre âne qui, gambadant tout à son aise, s’en fut jusqu’à l’île de Chypre à pied. Il visita successivement Rhodes, Candie, Malte, la Sicile, broutant en route des chardons qui poussaient tout exprès sur les flots durcis, et enfin il arriva au bout du golfe de Venise. Seulement, à cette époque, Venise