— Qu’y a-t-il ? qu’y a-t-il ? firent Abraham et Salomon.
— Il y a, répondit Manassé, que le Seigneur me flanque au nez mes sacrilèges, et que je plaide les circonstances atténuantes en me mettant en parallèle avec vous. Il ne sera pas flatteur pour le Messie de me compter parmi ses ancêtres, soit, je l’admets ; mais, en définitive, il me semble qu’il aura moins à rougir de moi que de la mère de Booz, Mme Rahab, la fille publique de Jéricho…
— Chut ! chut ! interrompit le Très-Haut. Ne lavons pas notre linge sale devant tous ces jeunes chérubins et séraphins qui nous écoutent. Pas de scandale, mes enfants ! Manassé, mon ami, je t’ai pardonné tes frasques ; je te dispense donc de critiquer les autres aïeux et aïeules du Christ. Reprenons notre petit défilé généalogique, qui est très intéressant, et dont le but est de prouver que j’ai tenu mes promesses à Abraham et à David. Qui as-tu engendré, Manassé ?
Manassé dit : J’ai engendré Amon. — Amon vint et dit : J’ai engendré Josias. — Josias vint et dit : J’ai engendré Jéchonias. — Jéchonias vint et dit : J’ai engendré Salathiel. — Salathiel vint et dit : J’ai engendré Zorobabel. — Zorobabel vint et dit : J’ai engendré Abiud. — Abiud vint et dit : J’ai engendré Eliacim. — Eliacim vint et dit : J’ai engendré Azor. — Azor vint et dit : J’ai engendré Sadoc. — Sadoc vint et dit : J’ai engendré Achim. — Achim vint et dit : J’ai engendré Eliud. — Eliud vint et dit : J’ai engendré Éléazar. — Éléazar vint et dit : J’ai engendré Mathan. — Mathan vint et dit : J’ai engendré Jacob.
Jacob se leva.
— Ouf ! fit Jéhovah. Il ne reste plus que toi, mon petit Jacob numéro 2.
— En effet, Seigneur, il y a peu de temps que vous m’avez retiré du nombre des vivants, et mon fils est encore sur la terre.
— Qui as-tu donc engendré ?
Jacob dit : J’ai engendré Joseph.
Tous les patriarches se regardèrent.
— C’est donc ce Joseph, demanda Abraham, qui sera le père du Messie ?
— Pas du tout, mon fiston ; ce Joseph est seulement l’époux d’une nommée Marie, de qui naîtra le Christ en question.
— C’est cela, observa David qui croyait avoir compris ; ce Joseph, mon descendant, a engendré le Messie promis par vous.
— Mais, sacrebleu ! non… Joseph est étranger à cette paternité. Il est l’époux de Marie, et voilà tout. Le reste ne vous regarde pas.
Il y eut un long murmure dans les rangs des patriarches.
— Mais alors, Seigneur, s’écrièrent-ils, vous vous êtes abominablement moqué de nous !
— À quoi bon, dit Abraham, m’avoir mis à la tête de toute cette généalogie, si le dernier de mes descendants n’a collaboré en rien à l’engendrement du Messie ?… Je suis volé !