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LA VIE DE JÉSUS

le sou, il fut fort embarrassé de sa personne. Où qu’il se présentait, le crédit lui était refusé net. Un tailleur, qu’il avait négligé de payer au temps de son opulence, lui reprit son habit et il se trouva presque nu sur le pavé.

À force de faire la queue à la porte des bureaux de placement, il obtint une place de gardeur de pourceaux chez un propriétaire campagnard ; mais voilà que le bourgeois était pingre comme un corsaire arabe, ne lui donnant que tout juste ce qu’il fallait pour qu’il ne mourût pas de faim. L’infortuné cadet en était réduit à envier le sort des cochons qu’il gardait. Il eût été bien aise de remplir son ventre des cosses que les pourceaux mangeaient ; mais les pourceaux ne se laissaient point prendre leur nourriture.

Se livrant ainsi à d’amères réflexions, il finit par se dire :

— Le dernier des valets d’écurie de chez mon père a du pain plus qu’il ne lui en faut, et moi, je crève bêtement de faim. Retournons chez papa, que diable ! Il n’aura pas le cœur de me refuser un emploi de domestique quelconque.

Il partit donc. La route était longue. Il arriva éreinté.

Voyez la chance ! Le papa prenait précisément le soleil à son balcon, quand l’enfant prodigue parut sur la route.

— Qu’est-ce que ce mendiant que j’aperçois là-bas ? se dit le père bonhomme. Il est en bien sales guenilles. Jamais je n’ai vu de ma vie un vagabond plus dégoûtant… Tiens ! mais c’est mon fils cadet !… Oui, c’est bien lui.

Et voilà le père qui enjambe son balcon (c’était un balcon de rez-de-chaussée), et qui se met à courir sur la route à la rencontre de son fils.

Il lui saute au cou, il l’embrasse.

— Quelle chance que tu reviennes ! Je m’ennuyais à mourir de ne plus t’avoir auprès de moi !… Tu as gaspillé tout ton saint-frusquin ?… Ne dis pas non… Je vois ça… Enfin, ne parlons plus de tes fredaines… Tu es en bonne santé, c’est l’essentiel… Embrasse-moi encore… Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! que je suis donc content !

Le fils cadet ne s’attendait pas à un pareil accueil. Il savait son père bon ; mais il ne le croyait pas cependant bon à ce point.

— Papa, gémissait-il, papa, tu es la crème des papas !… Je ne suis pas digne d’être appelé ton fils… Je suis un vaurien, un misérable, un gredin, une canaille…

Et il se tapait à coups de poing dans la poitrine, tant il était contrit.

— Allons, assez comme ça, fiston !… Tu vas te détériorer l’estomac avec tes coups de poing… Puisque je te dis que tout est oublié, voyons, ce n’est pas la peine d’abîmer ton individu.

Puis, ce brave homme de papa donna ordre à tous ses domestiques d’accourir.

— Vous voyez ce mendiant ?… C’est mon fils, celui qui était