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LA VIE DE JÉSUS

consentirent à s’en passer et bénirent les fiançailles du charpentier comme ils auraient béni celles du commissionnaire du coin.

Marie seule s’était fait tirer un peu l’oreille. Joseph n’était pas de la première jeunesse ; il avait une grande barbe broussailleuse, un air grognon, le caillou par trop clairsemé et le langage passablement bourru ; ce fiancé-là ne représentait pas un avenir bien gai ; et puis, elle prenait au sérieux ses vœux, la petite.

La première fois qu’on lui parla de Joseph, elle fit une moue caractéristique, et dit :

— Zut alors ! et mon vœu de virginité ?

Heureusement pour lui, Joseph était un fin diplomate. Il eut un sourire ineffable, passa sa main dans ses rares mèches, et dit d’un ton dégagé :

— Oh ! si ce n’est que cela qui vous inquiète, mademoiselle, il m’est bien facile de vous tranquilliser. Vous croyez peut-être que c’est pour ça que je tiens au mariage ? Ma parole, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Moi, je m’en moque un peu. Le fin mot de l’histoire, c’est que je m’embête à six francs l’heure ; personne pour me tenir compagnie ; j’avais un perroquet, il est mort la semaine dernière ; avec ça, voyez mes culottes, c’est moi qui me recouds mes boutons, sont-ils assez mal recousus ! Tenez, si je cherche à prendre femme, c’est tout bonnement pour avoir mes côtelettes cuites à point et mes habits bien reprisés. Voilà comment je comprends le mariage, moi ! Cela avait été dit d’une façon si bonhomme que les larmes en vinrent aux yeux de la mère Anne. Elle se tourna vers sa fille et lui glissa ces mots dans le tuyau de l’oreille :

— Allons, ne fais pas tant ta mijaurée, petite sotte ! D’abord, ton père et moi, nous voulons te marier quand même, et puisque tu nous dois l’obéissance, il faudra bien que tu en passes par nos volontés. Nous n’avons pas les moyens de réaliser tes engagements passés ; ton père, tu le sais, a fait depuis quelque temps de mauvaises affaires ; pour que tu entres définitivement au Temple, les lévites exigent l’apport d’un trousseau assez conséquent, tandis que Joseph, lui, te prend sans dot. Décide-toi, voyons, nigaude ; jamais tu ne trouveras une aussi bonne pâte de mari.

Marion avait baissé les yeux et murmuré :

— Eh bien, oui, maman, j’accepte ; seulement, il est bien entendu que je ne reviendrai jamais sur mes conditions.

Joseph s’était incliné et avait répliqué :

— Mademoiselle, vous me faites bien de l’honneur.

Et voilà comment la demoiselle au père Joachim était devenue la fiancée du descendant de David.

En attendant le jour du mariage, la brunette demeurait chez son père et sa mère et gardait la maison, pendant que ceux-ci étaient en journée chez leurs patrons respectifs.