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LA VIE DE JÉSUS

— Ah ! mais je ne me trompe pas, c’est le charpentier, c’est le fils de Joseph !

Il n’en fallut pas davantage pour rompre le charme. Qui connaît le caractère si impressionnable et si flottant des foules se rendra facilement compte du revirement subit qui se produisit.

Quelques-uns des fidèles s’étaient dit en eux-mêmes :

— Il me semble que j’ai déjà vu cette tête quelque part. Lorsque le moins naïf cria : « C’est le charpentier », tous répondirent en chœur :

— Parbleu !

Et alors, en avant les interpellations.

Chacun était vexé de s’en être laissé imposer.

Ce fut une avalanche d’exclamations narquoises :

— Que ça de toupet !

— Il voulait nous fourrer dedans, le camarade !

— Jésus, est-ce qu’on va bien, chez toi ?

— Oùs qu’est ton rabot ?

— T’as donc quitté la menuiserie pour les montages de coups ?

— C’est-y le père Joseph qui t’a fait recevoir docteur ?

— Faut laisser à d’autres l’interprétation des prophètes, ma vieille, et surtout l’interprétation d’Isaïe, qui a été massacré avec des scies !

— C’est pour ça qu’il explique Isaïe, pardienne ! c’est comme ancien charpentier qu’il veut encore le massacrer !

— Retourne à ton établi, Jésus !

— Tu fais le docteur, commence par te guérir toi-même ! Tu es malade, ma pauvre branche ; faut soigner ça !

Les quolibets pleuvaient comme grêle. Le fils du pigeon essaya de dominer l’orage.

Au premier moment de répit qui se fit dans le tumulte, il dit :

— J’entends quelqu’un qui me crie : « Médecin, guéris-toi toi-même. » — Je comprends très bien la raillerie. Je vois à vos murmures que vous n’avez pas grande confiance en moi. Ces prodiges que j’ai accomplis, vous a-t-on dit, à Cana, vous désirez, pour me croire, que je les accomplisse ici, à Nazareth. Permettez-moi une seule comparaison. Lorsqu’il y eut, en Israël, une famine de trois ans, Élie porta secours à une veuve ; mais cette veuve était une païenne de Sarepta, ville des Sidoniens. En outre, sous le prophète Élisée, il y avait de nombreux lépreux sur la terre de Judée. Qui Élisée guérit-il ? un de ses compatriotes ? Non, il guérit Naaman, général syrien. Donc, ne vous étonnez pas si les prophètes comme Élie, Élisée et moi, ont l’habitude de réserver leurs miracles pour les étrangers.

La réponse était pas mal impertinente, on en conviendra. Aussi, ce fut une explosion générale de mécontentement dans la synagogue. Un transport de colère souleva l’assemblée. Eux, Nazaréens, comparés à des païens et des lépreux ! C’était trop fort.

Il n’y eut plus des murmures cette fois ; il y eut un seul cri :