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quelle piteuse mine le saint faisait, et elle éprouva le besoin de le narguer. Elle descendit donc à la cave doucement, bien doucement, s’accroupit devant la porte et regarda par le trou de la serrure. Un rayon de demi-jour descendait sur la statue. Ô surprise ! saint Joseph bougeait, remuait sur son lit fangeux.

— Miracle ! s’exclama Clairon.

À ce cri, un léger bruit se fit entendre au milieu des tessons de bouteilles, et la statue retomba dans l’immobilité. Ouvrir la porte et entrer fut pour Clairon l’affaire d’une seconde. Elle se baissa, ramassa saint Joseph, le retourna dans ses mains pour l’examiner de plus près. Horreur ! saint Joseph n’avait plus de tête ; un gros rat la lui avait mangée.

Pour le coup, Clairon n’y vit plus. Cette absence de tête était le présage de quelque grand malheur. Sans doute, elle était allée trop loin dans la série de ses pénitences ; son protecteur s’était fâché et l’avait abandonnée ; qui sait si maintenant il n’allait pas lui faire sentir tout le poids de son courroux ?

— Saint Joseph est le plus puissant de tous les saints, se disait-elle ; s’il s’est laissé manger la tête par un rat, c’est qu’il a ses motifs ! Malheur ! cent fois malheur ! Abomination de la désolation !

Clairon jeûna. Clairon se couvrit le corps d’un cilice. Clairon s’administra soir et matin vingt-cinq coups de discipline à la chute des reins. Clairon coucha par terre, sur le parquet, après y avoir répandu les cendres de sa lessive. Et tous les jours, et toutes les nuits, Clairon répétait en larmoyant :

— Ah ! saint Joseph ! grand saint Joseph ! pourquoi vous êtes-vous laissé manger la tête par un rat ?…

Enfin, le chaste époux de la virginale mère de Jésus eut pitié des larmes de sa servante, et il lui apparut en songe. (Prière au typographe de ne pas mettre : en singe.)

— Clairon, lui dit-il, sais-tu pourquoi cette fois je n’ai pas voulu prendre tes intérêts, et par conséquent pourquoi, sourd à toutes tes supplications, je me suis retiré de toi au point de me laisser manger la tête par un rat ?… Le sais-tu ? Clairon, le sais-tu ?… C’est parce que les saints catholiques