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UN DIVORCE

En l’attendant, elle se prit à admirer plus intimement le splendide paysage dont chaque tour de roue variait le décor ; et, tandis que le soleil se retirait derrière les monts embrasés de ses lueurs, elle s’abandonnait au charme de ces grandes harmonies, qui la ravissaient à la manière dont elles se font sentir à l’enfant, au paysan, au sauvage et au poëte, c’est-à-dire en dehors de toute analyse, dans leur sublime synthèse.

Et, à mesure que le jour s’en allait et que descendait l’ombre mystérieuse, la pensée de Claire s’élevait à l’invisible, et, songeant de Dieu, du Père, comme les protestants le nomment, elle mêlait son amour, à elle, à l’océan du grand amour, et ses rêveries à la grande attente, à l’aspiration infinie qui s’exhale de toutes parts, ou qu’imagine notre inquiétude.

Mais bientôt elle soupira, et ses yeux se portèrent autour d’elle. Ferdinand était bien longtemps à revenir ! C’était la première fois que, depuis quinze jours, il l’avait quittée, car vraiment il ne pouvait s’éloigner d’elle un instant. Oh ! quel ennuyeux que ce M. Monadier ! car assurément il retient Ferdinand malgré lui.

La cloche du bateau sonna. On arrivait à Vevey. Un flot de passagers descendit, un autre le remplaça. Claire crut s’apercevoir que les nouveaux venus la regardaient en passant, comme s’ils se demandaient quelle était cette jeune femme seule. Oh ! que Ferdinand tardait à venir !

Elle essaya de se reprendre à contempler le paysage. Mais cela ne lui était plus possible. Il s’était établi en elle un malaise qui à chaque minute grandissait.

« Vous êtes descendu des hauteurs… des hauteurs célestes. Il faut toujours descendre après avoir monté. » Ces paroles se répétèrent en elle plusieurs fois ; elle ne pouvait les empêcher de retentir intérieurement à son