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UN DIVORCE

choses. Non ! moi, cela m’irrite. Être poussé l’un vers l’autre par des convenances d’argent et de position, se voir, se saluer, échanger des banalités, bâtir un contrat, et puis tout aussitôt se précipiter dans les bras l’un de l’autre et monter sa lyre au ton des ravissements de l’amour céleste, ça, ma petite, vois-tu, c’est de la comédie. Ils ont l’air de se mystifier de bonne foi ; voilà tout ce que je puis leur accorder.

Anna secoua la tête et ne répondit pas.

— Eh bien ! quoi ! Tu as toujours l’air de penser quelque chose que tu ne veux pas dire.

— Oh ! ce n’est pas que je ne veux pas le dire, c’est que je ne le puis pas.

— Essaye, voyons.

— Non ! non ! reprit la timide enfant, qui, par le seul mouvement de ses longs cils abaissés, sembla s’envelopper de voiles. Non, je ne puis pas ; mais ne les regarde pas ainsi ; je t’assure qu’en ce moment ils sont très-heureux et très-bons.

— Très-bons ! répéta Mathilde, cela me rappelle qu’on m’a dit de ton futur beau-frère qu’il était violent et qu’il battait son chien.

— Est-ce possible ? On t’a trompée. L’autre jour, dans le bois, à ses pieds, un petit oiseau s’est tué en tombant du nid ; eh bien ! j’ai vu des larmes dans ses yeux.

— L’amour fait des miracles ! dit Mathilde avec ironie.

— Oui, c’est cela, répondit Anna, de sa voix douce et pénétrée.

Les deux fiancés avaient disparu dans le jardin, où, grâce à l’épaisseur des arbres fruitiers, ils se sentaient mieux seuls. Ils n’avaient point cependant de confidences à se faire, et n’en avaient déjà pas besoin ; ils se conten-