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UN DIVORCE

pirait en revoyant une autre image, que cependant elle écartait de tout son pouvoir. C’est Camille le premier qui lui avait fait pressentir quelle enivrante chose était l’amour. Mais elle ne l’aimait pas, oh ! non ! elle était même irritée à son souvenir. Il ne venait plus que fort rarement donner des leçons de dessin aux petits Anglais, — le père s’en plaignait, — et même alors il n’entrait plus chez les Grandvaux. On accusait le jeune Français d’être léger ; c’était vrai, sans doute ; Claire voulait le croire ; elle avait pleuré un soir qu’elle l’avait rencontré en sortant de chez les Schirling, et qu’il s’était borné à la saluer sans lui dire un mot ; c’était en effet bien léger, cela, bien ingrat peut-être, et M. Grandvaux avait eu raison de préférer pour sa fille un homme digne et sérieux comme Ferdinand.

Aussi voulait-elle être tout à lui, sans regret, sans arrière-pensée, puisqu’il était l’homme à qui elle devait appartenir, à qui le décret de Dieu l’avait destinée. Il était son devoir révélé, visible, et elle devait l’aimer de tout ce qu’il y avait dans son âme de respect pour les choses sacrées ; il était enfin son bonheur aussi, puisque c’était par lui qu’elle devait posséder tout ce que la femme attend et espère : son individualité plus marquée, sa fonction, son but, l’amour, les enfants, la vie tout entière.

Depuis l’enfance de Claire, à tout ce qui se disait autour d’elle, à tout ce qu’elle voyait et sentait, elle avait compris qu’elle grandissait pour quelque chose de grand et de mystérieux. Tout dans son éducation s’était rapporté à cela tacitement ; elle avait compris les sourires de complaisance que son père jetait sur elle, et l’orgueil qui brillait dans les regards de sa mère quand, parée d’une toilette nouvelle, heureuse elle-même de se trouver plus