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UN DIVORCE

— Pardine ! ça aurait fait son affaire.

— Et celle de mademoiselle Claire, je vous le dis. Mais je pensais bien que ça n’irait pas au vieux.

Elles s’écrièrent ensemble avec une indignation égale :

— Un garçon qui n’a pas le sou !

Après avoir discouru sur ce sujet quelque temps encore, elles allaient se quitter quand elles aperçurent l’Anglais sir John et Mathilde, qui revenaient de leur côté.

— Je me demande pourquoi ils sont comme ça toujours ensemble, dit la Vionnaz.

— Ma fi ! je n’en sais rien ; mais c’est un peu drôle. On pourrait bien en mal penser.

— Oui bien ; d’autant que cette demoiselle Mathilde est une vraie possédée du démon, à ce qu’on dit.

— Regardez comme ils se parlent. Ils ne nous ont seulement pas vues. Attendez, mère Vionnaz, laissez-moi entrer chez vous, et nous nous cacherons là, derrière la haie, pour entendre ce qu’ils diront.

Sans attendre une réponse, Julie remonta lestement de quelques pas, ouvrit la petite barrière du jardin et revint se pelotonner sous la haie, près de la vieille femme, qui l’imita. Elles attendirent ainsi, échangeant des signes, et cherchant à glisser le regard par les interstices de la haie, le visage allongé comme deux fouines en embuscade.

On entendait le bruit des voix se rapprocher.

L’Anglais parlait avec accent un français pur, d’une voix grave et lente, dont le timbre avait quelque chose d’attristé. Il semblait qu’il émit des doutes plutôt que des assertions, tandis que la parole prompte, arrêtée, incisive, de la jeune fille semblait à chaque phrase poser devant eux des affirmations nettes et irrécusables.

— Quoi que vous en disiez, monsieur, la force sub-