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UN DIVORCE

contraire. De la fortune, une famille honorable ; il faut bien espérer qu’avec la grâce du Seigneur, vous vous accorderez ensemble. D’ailleurs, le rôle d’une femme raisonnable est bien facile, c’est de toujours céder. Je ne dis pas que ce soit agréable ; le joug d’un mari est quelquefois dur, mais il faut bien porter la faute de notre mère Ève, et puis il n’y a pas d’autre moyen. Plus tu seras soumise en apparence, plus ton mari sera content, et mieux par conséquent il fera ce que tu voudras. Je connais une de mes amies, madame Vannerot, qui est une merveille pour cela. C’est une petite femme qui a l’air de ne toucher à rien, et son mari, au contraire, a la voix si forte qu’on dirait qu’il va dévorer tout le monde ; eh bien ! s’il lui arrive d’avoir quelque volonté qui ne plaise pas à sa femme, elle entre dans son idée de manière à l’en dégoûter, et bientôt après il lui commande de faire précisément ce qu’elle voulait.

— Mais ce n’est pas franc cela, dit Claire.

— On ne peut pourtant pas donner son corps et son âme tout entiers, sans en retenir le moindre morceau, répondit mademoiselle Charlet, d’un air qui témoignait combien une orthodoxie complète est difficile à obtenir, même des âmes les plus religieuses.

Après avoir vidé plusieurs bouteilles à la santé de la patrie, les hommes sortirent à leur tour, et, groupés tous les trois à quelque distance des femmes, ils continuèrent une conversation qui, sous l’influence combinée des vapeurs de la digestion et de celles du cigare, devint de plus en plus lourde et traînante.

Cependant le père Grandvaux, comme on le désignait familièrement dans le pays, au milieu des passe-temps les plus agréables, n’oubliait jamais les affaires. Donc, se rappelant qu’il avait un coup d’œil à donner à certain