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UN DIVORCE

tueuse, mais tout aussi dépravée ; moins séduisante et moins adorée, mais encore plus puissante, parce que tous les intérêts aboutissent à elle en même temps que les affections ; moitié avilie et tronquée des forces humaines, représentant avoué des petits intérêts, des petites vanités, des petits plaisirs ; agent des basses œuvres sociales !

Pendant toute cette philippique, Claire eût bien pu servir de modèle pour une statue de l’ébahissement, si une expression de moquerie qui allait presque jusqu’au rire ne se fût de plus en plus étendue sur ses traits.

— Chère cousine, dit-elle en reprenant un visage sérieux, ne va pas dire de pareilles choses à quelqu’un autre que nous. Vrai, je t’assure, cela te ferait beaucoup de tort, ajouta-t-elle d’un ton d’admonestation maternelle, en posant sa main sur celle de Mathilde.

Mais celle-ci, sous l’influence de son exaltation, ne répondit pas, et, se laissant aller au dossier du banc sur lequel elle était assise, elle resta frémissante, les yeux encore attachés sur sa pensée. Anna regardait aussi sa cousine avec un étonnement profond, mais sérieux.

— Toi, petite, qu’en penses-tu ? demanda brusquement Mathilde.

La jeune fille cacha son visage dans ses mains et secoua la tête sans vouloir parler.

— Enfin, voyons : le mariage de Claire, tu as bien à cet égard quelque idée ?

— Je crains que ma sœur n’aime pas son mari.

— Elle a raison ! dit Mathilde triomphante ; non, tu ne peux pas l’aimer, Claire, puisque tu le connais à peine. Ainsi donc tu renonces à l’amour, à vingt ans !

Autant les observations précédentes de Mathilde avaient laissé Claire insensible, autant cette apostrophe