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UN DIVORCE

parfois d’avoir tant de bonheur que d’en être aimée.

La veille du jour où elle devait comparaître, en présence de son mari, devant le juge du tribunal, plus agitée qu’à l’ordinaire, elle sortit avant la nuit ; car elle avait eu peur dans sa promenade nocturne du jour précédent : deux fois elle avait entendu, à peu de distance, un bruit de pas et des froissements de feuilles, comme si elle avait été suivie. Elle était revenue du côté de la maison en toute hâte, et, rencontrant la Vionaz, que sa tournure raide et efflanquée lui fit reconnaître dans l’obscurité, elle l’avait priée de l’accompagner. Ce n’était pas la Vionaz qui avait agité les branches, puisqu’elle avait dit à Claire venir précisément du côté opposé.

Cependant, poussée par son besoin de solitude, la jeune femme retourna dans le bois, où régnait déjà sous les feuillages morts des hêtres une clarté douteuse. Longtemps elle marcha, le front baissé, dans les sentiers rapides qui descendent vers le torrent, tout jonchés de feuilles sèches, qu’elle écrasait sous ses pas. Toujours triste, elle songeait, n’entendant pas même la chanson sifflante du torrent, et ne s’arrêtant plus comme autrefois à admirer la cascade blanche et rejaillissante, ni les dentelles ouvrées par l’eau dans les bancs de mollasse qui forment son lit. Sans les voir, elle passa près des beaux rochers à la tête moussue, dont les pieds polis se baignent au courant, et ne donna pas un regard aux sorbiers parés de grappes rouges qui, penchés, se miraient dans l’eau. Mais tout à coup elle poussa un cri étouffé, et s’arrêta en apercevant Camille à quelques pas d’elle, au travers des arbres.

— Ne m’attendiez-vous pas, Claire, dit-il avec tendresse, en prenant sa main ? Moi, je souffrais par la pensée que vous deviez vous étonner de ne pas me voir ;