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UN DIVORCE

d’esprit pervers ; mais Claire a senti la force de sa cousine ; elle l’estime, pourquoi dès lors ne la croirait-elle pas ?

Selon Mathilde, — et ce n’était pas son opinion à elle seule, mais celle de tous les gens avancés, comme elle disait, — dès que l’un des époux avait trahi la foi jurée, l’autre était libre par cela même, et devait, sous peine d’infamie, rompre tous rapports avec le coupable. Le lien du mariage était placé très-haut et très-honoré, mais, d’autant plus fragile qu’il était plus sacré, une faute le brisait sans retour ; selon ces croyances, l’union de l’homme et de la femme n’a d’autre base légitime qu’un amour sincère. Le mariage sans amour est un lien odieux. L’amour seul est prêtre, le cœur seul est juge ; et chacun dans sa conscience est libre de rompre ou de contracter de semblables liens.

Si tout cela est vrai, — et dans son cœur il le lui semble, — les remords de Claire sont puérils. Elle peut recommencer une existence nouvelle, et, sans courir les chances d’un divorce, fuir avec Camille en Amérique. Le monde où elle a vécu la déclarera coupable, mais elle sera bien loin ; et puis qu’importe, si réellement elle n’a pas mal fait ?

Son œil d’un bleu sombre, que la flamme de la bougie illuminait, sans l’éclairer jusqu’au fond, dardait un regard ardent sur le monde des théories, trop vague pour elle et trop inconnu. Elle releva la tête, et son bras, se couchant sur le marbre, s’y roidit avec force.

— Ah ! si c’était vrai ! pourquoi donc irait-elle demain accepter une vie d’insultes et de tortures, quand elle pourrait, non-seulement être heureuse, mais rendre heureux cet être si noble ! qui l’aime tant ! Il fallait avertir Camille, hâter le départ… toute sa volonté s’élança…