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UN DIVORCE

Je souffrirai par lui toute ma vie, et, quand même il cesserait d’aimer cette femme, je ne serai jamais heureuse ; car je sais maintenant comment j’aurais pu l’être et tout ce que j’ai perdu.

Elle s’accouda sur la fenêtre et cacha son front dans ses mains. Anna la regardait avec une compassion profonde, quand toutes deux elles tressaillirent au bruit d’un pas. C’était Camille.

— Le recevras-tu ? demanda la jeune fille agitée.

— Certainement ! s’écria Claire avec exaltation ; n’est-ce pas la dernière fois ?

Elle descendit aussitôt dans le petit salon, où Fernand saluait déjà par des cris de joie l’arrivée de son ami. Ils échangèrent un serrement de main et s’assirent l’un près de l’autre, occupés de l’enfant en apparence, mais surtout de mêler leurs regards et leurs pensées. Au front pâle et fermé de Claire, à son attitude brisée, à son regard désespéré, Camille devina une résolution prise. Laquelle ? Plusieurs fois il l’interrogea de son regard anxieux et tendre, qu’elle ne fuyait pas toujours.

Il était, en effet, bien dangereux, Camille, pour cette jeune femme, qui, ne se voyant au monde que l’amour pour destinée, tendait de toutes les forces de son être à l’accomplir. Il avait l’intelligence du cœur ; il aimait. Elle, élevée dans l’infériorité de la femme biblique, il la traitait en reine, mais sans fausseté, avec un vrai respect et beaucoup d’amour. Il souffrait réellement de ses peines, toute atteinte portée à Claire était une blessure pour lui ; on le voyait à son regard courroucé, à sa parole incisive, à une sourde colère qui perçait de toutes parts. Claire, dans ces moments-là, sentait bien qu’elle l’aimait trop, et elle baissait les yeux, pénétrée jusqu’au fond de l’âme d’attendrissement, de joie et de crainte.