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UN DIVORCE

certain que tu as manqué de prudence. On se rend plus malheureuse en se mettant dans son tort.

Blessée de ces consolations, madame Desfayes répondit avec aigreur, et elles se séparèrent assez fâchées. Elles cessèrent de se voir pendant quelque temps, et Claire, à cause de Camille, voulut s’en applaudir ; mais elle en souffrit et ne douta pas qu’il n’en dût souffrir lui-même. Ne se montrait-elle pas ingrate envers lui ? Il lui avait témoigné tant de sympathie, un dévouement si sincère ! Mais elle sentait bien qu’elle devait le craindre, parce que c’était sa compassion à lui qui la touchait le plus. Sa sœur Anna lui était aussi bien dévouée, et Claire cependant lui savait moins de gré de son affection, en ressentait moins de douceur et y trouvait moins d’attrait.

Ce qui donne à l’amour sur le cœur et l’imagination un si grand empire, c’est qu’il offre un champ aussi vaste que la vie même, l’union complète et la perspective de l’infini dans le sentiment. L’amour maternel seul a des élans aussi puissants ; mais il n’a pas les joies nécessaires de la réciprocité ; aussi, d’après les lois mêmes de la nature, n’est-il que le prolongement et la conséquence de l’autre amour, qu’il ne peut remplacer dans l’âme humaine, créée pour les contenir ensemble. La belle et sainte amitié, quelque profonde qu’elle soit, n’a qu’un espace circonscrit par d’autres affections et d’autres intérêts. Elle est nécessairement limitée, et toute amitié qui ne l’est point est de l’amour. On ne dit pas l’amitié maternelle.

Le vide que laissait au cœur de Claire l’abandon de son mari, un autre amour le remplissait malgré elle, comme l’air un vase qu’on vient d’ouvrir. À vingt-trois ans, une honnête femme peut bien se résigner à ne pas être heureuse, mais il n’est guère en son pouvoir de ne plus aimer.