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UN DIVORCE

L’arrivée de son mari la dérangea de son rêve sans la troubler autant qu’à l’ordinaire, et elle put manger un peu.

Mais le lendemain, effrayée dans sa conscience de tant songer à cet homme, qu’il ne lui était pas permis d’aimer, elle se promit de ne pas aller de toute la semaine chez madame Renaud et de cesser peu à peu ses visites dans cette maison. Puis elle se trouva la plus malheureuse des créatures, et se dit qu’elle était condamnée à souffrir toute sa vie sans aucune consolation.

Madame Renaud, qui avait appris l’aventure de la rencontre des deux rivales aux bureaux de la banque Dubreuil, accourut voir son amie, et s’exclama beaucoup de la trouver si pâle et si défaite.

Écoute, ma chère, lui dit-elle, il faut pourtant se distraire un peu. Tu serais bien folle de détruire ta santé pour un pareil mari… Ne me fais pas cet air-là. Crois-tu donc que je ne sache rien ? Il y a longtemps, va, ma pauvre petite, que je sais comment les choses vont dans ton ménage, et ce n’est que par discrétion que je ne t’en ai pas parlé. Adolphe me l’avait tant défendu ! Mais à présent c’est devenu une chose publique. Et tu peux être sûre que beaucoup de gens prennent ton parti. Mon père a fait une élégie sur toi, où il te compare à un beau fruit sain qu’un sauvage dédaigne pour un fruit véreux. Le fruit véreux nous a fait bien rire. Tu comprends ? c’est madame Fonjallaz. Enfin, vois-tu, ma pauvre Claire, il en faut prendre ton parti. Il y a même beaucoup de gens qui te blâment parce qu’ils disent que tu as tort de parler si haut, que tu prends le mauvais moyen, et que, au lieu de retenir ton mari, tu le chasses tout à fait. Moi je comprends bien ton irritation ; mais il est