Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
UN DIVORCE

parler, à moins qu’il n’élevât sa voix impérieuse pour ordonner quelque chose ; encore ne s’adressait-il point à sa femme directement. Ce devint un lieu sombre, glacial et maudit que cette maison, où le silence et la crainte accueillaient les pas du maître, où pendant son absence, des larmes, le plus souvent, baignaient le visage de la femme, où l’enfant attristé, maladif, ne jouait plus.

À ces repas funèbres qu’ils prenaient en commun, Claire ne fit bientôt plus qu’assister, à cause de Fernand, car son estomac contracté refusait toute nourriture. Les larmes l’épuisaient, le chagrin irritait son sang, et le peu de lait qu’elle donnait à sa petite fille rendit malade cette belle enfant, qu’il fallut sevrer, bien qu’elle n’eût pas cinq mois encore.

Deux jours après la scène qui avait eu lieu sur le Grand-Pont, Camille avait osé venir prendre des nouvelles de Claire. Elle avait tremblé en le voyant, de peur des soupçons de son mari, quoiqu’elle fût heureuse de sa présence. Au premier abord, le visage du jeune homme avait pris une expression douloureuse qu’elle comprit.

— Vous me trouvez fort changée, n’est-ce pas, monsieur ? demanda-t-elle avec un triste sourire.

Camille prit la main de Claire et la pressa longuement.

Si quelque chose pouvait vous faire du bien, madame, je vous dirais que je vous suis dévoué.

— Oh ! cela me fait beaucoup de bien, certainement.

— Merci ! Ne pourrais-je donc pas vous être bon à quelque chose ?

— Je ne crois pas. Le mal que j’éprouve, il n’est au pouvoir de personne de le faire cesser.

— Mais ne pourriez-vous pas le combattre en vous-même ? dit-il avec émotion. Il est affreux de vous voir