Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/329

Cette page a été validée par deux contributeurs.
317
UN DIVORCE

face d’elle un homme en habit bourgeois, qui s’arrêtait.

— Lâchez cette femme ! à l’instant ! dit le nouveau venu d’une voix ferme et indignée qui fit tressaillir Claire profondément, car c’était la voix de Camille.

— Passez votre chemin, vous, ça ne vous regarde pas, répondait l’insulteur, quand un vigoureux coup de canne, tombant sur sa figure, lui coupa la parole. Une lutte s’engagea, mais elle fut courte ; l’adversaire de Camille lâcha prise, et s’enfuit en déchargeant par des menaces le reste de sa colère. Après de nouveaux chuchotements, le groupe voisin s’éloigna aussi.

— Où voulez-vous que je vous conduise, madame ? demanda Camille d’une voix sèche et d’un accent dédaigneux.

Claire vit bien qu’il ne la reconnaissait pas ; elle lui montra de la main, sans parler, le côté de la place Saint-François d’où elle venait, car toute sa résolution était tombée, et elle ne songeait plus qu’à retourner chez elle comme dans un refuge. Camille ne lui offrit point le bras, et détournant la tête, comme pour contempler les ombres du ravin, il marcha seulement à côté d’elle, à la manière d’un homme qui accomplit un devoir désagréable.

La jeune femme comprit cela, et elle en fut tout émue. En ce moment, elle ne souffrait plus. La reconnaissance, et une émotion pleine d’une douceur infinie lui remplissaient l’âme. Combien elle lui savait gré de sa rudesse, de sa dignité ! Combien elle aimait à le voir ainsi, à la fois bon et sévère, pour cette femme fourvoyée qu’il soupçonnait. Elle ne voulait pas se faire connaître, et cependant il lui en coûtait beaucoup de le quitter sans lui adresser des remerciements.

Quand ils furent arrivés au bout du pont, non loin de la place, Camille salua la jeune femme. Claire alors, d’un