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UN DIVORCE

ment la palissade du jardin, elle s’élevait de temps en temps sur le bout des pieds pour jeter un coup d’œil à travers les massifs. Il y avait là plusieurs groupes d’hommes et de femmes, assis à des tables, ou qui marchaient en causant et riant. Elle distingua parmi eux des personnes de sa connaissance. Triste, la tête baissée, tantôt elle prêtait l’oreille, tantôt elle songeait.

S’il était là-bas, tout au fond, dans quelque allée sombre, seul, rêveur, tourmenté ? Alors, ah ! qui la guiderait vers lui, pour qu’elle se jetât dans ses bras, le pressât avec force contre sa poitrine, et que mêlant des larmes à ses prières, elle le reprit tout entier dans une étreinte qui, rappelant le passé, promettrait tout l’avenir.

Mais le flot de ces effluves sacrées, dont les hommes placent la source en divers lieux, et que, suivant leurs aspirations, ils nomment amour, grâce, enthousiasme, ce flot sublime, qui s’était emparé d’elle et l’avait soulevée et apportée en ce lieu, peu à peu, au milieu de la foule changeante, affairée, rieuse, grossière, dont les vulgarités l’entouraient comme d’un réseau, se retira, et finit par la laisser épuisée sur le sable de la route, ne comprenant plus guère que de souvenir ce qu’elle était venue faire là.

Et, dans l’isolement où elle se trouvait, mille amertumes l’envahirent, tandis que retentissaient auprès d’elle les joyeux propos et les rires des habitants du jardin, sous leurs arbres féeriques d’or émaillé. Combien elle se sentit pauvre et malheureuse alors, elle, la fille du riche Grandvaux, la belle Claire, qui jusque-là ne s’était connue qu’enviée ! Ceux qui passaient auprès d’elle, riches ou pauvres, indifférents ou joyeux, ils savaient leur chemin, ils allaient quelque part, ils avaient quelque chose à faire