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UN DIVORCE

ce qu’elle devait remuer dans l’âme d’un homme ! Tant de puissantes raisons et d’arguments touchants se pressaient dans son esprit, tandis qu’elle marchait d’un pas rapide, allant vers son but, quoiqu’elle ignorât le lieu !… Elle ne doutait pas ; elle en était certaine, elle réussirait. Elle se sentait assez forte maintenant pour entraîner son mari avec elle dans la haute région des affections pures et des devoirs accomplis.

Pourquoi ne l’attendait-elle pas à la maison ? C’est qu’elle pensait que dans sa colère il pouvait ne pas revenir. Ses craintes, aussi bien que ses espérances, étaient exaltées. Puis, elle avait besoin d’agir, d’échapper par le mouvement aux tortures de sa pensée. Soulevée par un élan de confiance, elle s’était levée et avait marché. Bientôt cependant son pas se ralentit, et elle finit par s’arrêter, inquiète. Où allait-elle ? où pouvait être Ferdinand ?

Claire, en ce moment, se trouvait à l’extrémité de la place Saint-François, au coin de l’église, à l’endroit où subitement le coteau s’abaisse et laisse voir, comme un admirable tableau qu’on dirait là suspendu, le lac, la côte de Savoie et la montagne. Bleuâtre et confus à cette heure, sous la clarté de la lune et des étoiles, ce paysage avait un caractère aérien et fantastique ; les arbres se découpaient sombres entre la terre et le ciel, chacun avec son attitude particulière, et le pavé abrupt qui descend au lac, s’enfonçant en des teintes de plus en plus sombres, semblait une route creusée dans les entrailles de la terre. À gauche de la jeune femme et derrière elle, les cafés, les cercles et les magasins de la place brillaient de lumières, et presque en face, dans le jardin du Casino, on voyait se refléter sur les feuillages les lueurs verdâtres des becs de gaz cachés derrière les massifs.