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UN DIVORCE

pable en n’aimant Camille que dans son cœur, en secret ?

— Les hommes sont insensés, se dit-elle. Ils répètent sans cesse que la femme est faite pour aimer, et ils ne l’aiment pas ; ils la laissent seule, ils l’abandonnent.

Qu’elle se le permit ou non, elle ne pouvait s’empêcher de penser à Camille avec une joie secrète ? Le sentiment, lui aussi, a des règles invincibles. Bornée à la vie du cœur et délaissée de son mari, si un amant ne se fût pas présenté, elle se le serait donné en rêve. Elle ne voulait pas mal faire ; mais il fallait qu’elle aimât ou qu’elle mourût, puisque nulle autre source de vie n’existait pour elle au monde.

On objectera les enfants ; mais peuvent-ils combler le besoin du semblable, de l’égal, de cet échange, en un mot, qui est l’essence de l’amour et qui n’existe pas avec ces petits êtres, auxquels il faut donner toujours sans songer à recevoir, qui, à mesure qu’ils deviennent grands, s’éloignent de vous, attirés par l’avenir. L’amour maternel est le plus sublime, parce qu’il est le plus désintéressé ; mais est-il donné à tous de pouvoir être constamment sublimes ? En vertu de nos mœurs, et d’après son éducation actuelle, une femme sans amour est un être dépourvu de son intérêt dans la vie et du seul point d’appui qui lui soit offert, — on pourrait dire imposé.

Le vice de notre situation morale, c’est la vie humaine scindée entre chacune des deux formes de l’être humain, au sein duquel elle doit rayonner complète. Fatalement progressive, puisqu’elle est de son espèce, la femme, exilée de l’intelligence, doit chercher le progrès dans l’amour.

Ce n’était dans l’âme de cette pauvre Claire que trouble profond, et l’espoir n’y brillait qu’empoisonné de regrets. Elle resta longtemps immobile près de la fenêtre