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UN DIVORCE

— Tu ne le feras pas, j’espère, s’écria Mathilde, tu ne t’aviliras pas à ce point ! Tu sais que ton mari va plus que jamais chez la Fonjallaz. Tout le monde en parle ; c’est une chose certaine. Tu es dans ton droit, ce n’est pas toi qui romps vos liens ; c’est lui qui les a brisés.

— Oui ! Oh ! oui ! dit la pauvre femme, il est bien coupable ! Je l’aimais tant ! Ah ! s’il voulait quitter cette indigne femme ; si je pouvais croire…

— Tu lui pardonnerais ? dit Mathilde les sourcils froncés.

— Quoi ! tu n’admets pas qu’on pardonne ?

— Pas ces choses-là, non. Quand l’amour n’existe plus, quand la confiance a été trahie, c’est irréparable. L’âme envolée, enterrez le cadavre, et ne vous empoisonnez pas de ses miasmes. Car le mariage sans l’amour est l’agent le plus actif de la dégradation humaine. C’est par lui que le fils de l’homme tient de la brute plus que de Dieu. Tu me regardes avec étonnement ; tu penses que je ne connais pas la nature des hommes ; qu’on ne peut la changer… tu te trompes ; les femmes le pourraient ; il leur suffirait de vouloir.

Ainsi qu’elle faisait toujours quand elle ne comprenait pas sa cousine ou qu’elle la trouvait exagérée dans ses assertions, Claire ne répondit pas et regarda le plancher d’un air ennuyé. La jeune philosophe s’en aperçut et reprit d’un ton acerbe :

— Mais vous ne savez ni raisonner ni vouloir, vous autres. Vous croyez en cela être habiles, sauver vos intérêts par le sacrifice de votre dignité. Pas du tout. Vous êtes simplement lâches et sottes, et vous vous perdez…

— Mathilde !… vraiment…

— Je parle en général. Ne t’amuse pas à être suscep-