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UN DIVORCE

— Puis-je m’empêcher de souffrir ?

— Oui, pour beaucoup. Il n’y a pas que l’amour au monde. Cherche autre chose où t’attacher. Le tout est d’avoir un but. Le bonheur est fort rare, et peu de gens le possèdent, si même il y en a. Regarde autour de toi, et, quand tu t’en seras convaincue, tu n’oseras plus regretter le tien comme un joujou perdu.

— Tu traites tout le monde en enfant, dit Claire un peu blessée. Il y a pourtant des choses que tu ne peux comprendre aussi bien que moi.

— Oh ! c’est cela ! l’expérience, le grand argument de ceux qui ne raisonnent pas. Qu’est-ce que l’expérience, je te prie : une science, un ensemble de principes ? Non, mais ce qu’il y a de plus insaisissable et de plus changeant, puisqu’elle n’est qu’une appréciation personnelle de faits personnels. La petite part de connaissance que me donnerait l’expérience du mariage, je n’en ai pas besoin pour savoir ce qu’il doit être. Je sais fort bien qu’à ta place j’aurais pris mon parti, et que, me considérant comme veuve, je m’occuperais exclusivement de mon enfant et de préparer son éducation.

— Tu devrais savoir qu’elle ne me sera pas confiée, objecta Claire, et qu’aussitôt que ce pauvre ange aura atteint seulement sept ans, on exigera qu’il aille à l’école avec les autres ; je voudrais bien, d’ailleurs, ne m’occuper que de lui ; mais quand on me fait du mal, puis-je ne pas le sentir ? Comment me mettre à part de mon mari ? Comment lui échapper ? Sa volonté ne domine-t-elle pas dans la maison ? Puis-je agir en rien sans avoir son consentement ? C’est lui qui règle tout, qui tient tout dans sa main. Moi-même, hélas ! il me considère comme à lui. Et peut-être… C’est de là, vois-tu, que vient tout le mal, car si je cédais…