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UN DIVORCE

d’une pente rapide, plein de brusques tournants et traversé de roches.

Claire insista pour le descendre à pied, ce qui était prudent ; mais elle y prit une fatigue extrême ; car, n’y voyant pas, quelquefois elle posait le pied sur des pierres roulantes, ou trébuchait dans la rigole sinueuse que les eaux du printemps creusent dans ces chemins. Appuyée sur le bras de sa sœur, elle gardait un amer silence. Ni parole ni plainte ne lui échappaient. Seulement elle s’arrêtait de temps en temps pour reprendre haleine.

Quand on eut gagné la route, elles montèrent ; M. Grandvaux prit les rênes, et la voiture roula. Mais, de temps en temps, la jument s’arrêtait, donnait des signes d’inquiétude ou d’impatience et ne reprenait son chemin que sollicitée par un coup de fouet.

— Je ne sais pas ce qu’a la Charlotte ce soir, dit M. Grandvaux

Cependant, il ne s’en inquiéta pas davantage, et, comme il était fort gai, il se mit à fredonner une chanson patriotique.

Au bout de quelques instants, le refrain s’alanguit jusqu’à devenir un faible murmure, et la tête du chanteur tomba sur sa poitrine.

— C’est étonnant comme ça endort, cette route unie, bégaya-t-il. Prends les rênes, petite ; il n’y a pas de danger ; tu n’as d’ailleurs qu’à laisser faire la Charlotte : elle ira tout droit.

La Charlotte n’allait pas droit, au contraire ; elle suivait la route en zigzag et arrivait quelquefois si près du bord qu’Anna était obligée de recourir à un coup de fouet énergique. À quoi pouvait tenir cette conduite de la Charlotte, qui n’avait pas, elle, pris part à la fête et qui était une bête sage, attachée à son devoir ? Anna devina